mardi 30 décembre 2014

CHANSON POUR LES NOYÉS DE SEPTEMBRE




CHANSON POUR LES NOYÉS DE                       

                   SEPTEMBRE










CHANSON POUR LES NOYÉS DE SEPTEMBRE







Chant 1


Fou
Fou le cheval noir
Battant l’air des deux pieds
Fou le cheval noir

Fou le cheval noir
Les naseaux ensanglantés
Ses yeux sont verts
Du vert des feux-follets
           










L’océan est noir
Écume noire aux grèves d’ardoise dure
Le cheval court sur le sable noir
Et le vent s’est étouffé

Qu’attends-tu
Qu’attends-tu
Le cheval court vers le village
Qu’attends-tu dans la nuit noire

C’est le cheval du malheur
Qu’attends-tu dans la nuit noire
L’entends-tu
L’entends-tu

                               



Chant 2


Treize sont partis
Compagnons
Treize qui chantaient
Le huit septembre dans le soir tombé

La marée reflue
Le huit septembre dans le soir
Notre Dame de la Nativité
Et le vent qui chantait

Huit septembre à minuit
La marée remonte
Qu’attends-tu sous la lampe
Dans ce silence de malheur

Qu’attends-tu sous la lampe
Qu’attends-tu
Treize sont partis
Douze à minuit entreront dans la nuit

Cloche du clocher
Combien de coups faudra-t-il sonner
Saint Michel lavera sa chemise
Avec du bleu de lessive


Chant 3


Quand l’océan se retire
Sans à-coups et sans bruit
Quand le vent se tait
Et quand la mer est lisse
La mer ne laisse sur le sable
Que des torrents infimes
Branchus comme des arbres
Sans effort l’eau retourne à la mer
Quand l’océan se retire
Sans aucun bruit
Nuit sans lune
Belle nuit
Nuit tiède
Nuit pleine
Caresse
Et l’envie d’un baiser


Chant 4

O mon amour !
Mon amour, mon amour
Amour de mes yeux
Amour de mes papilles
De mes mains
Amour de mes oreilles
Amour de ma peau
Amour de mes cuisses
Amour de mon ventre
Amour
Amour
Amour de mes instants
Que rythment l’horloge
Les battements de mon cœur
Tic tac
Tic tac
Tic tac
Les mouvements de la mer
Et que faire maintenant
Que faire de mes yeux
Que faire de mes papilles
Que faire de mes mains
De mes oreilles
Que faire de ma peau
De mes cuisses
Que faire de mon ventre
Que faire de l’horloge
Des battements de mon cœur
Des mouvements de la mer
Que faire de la houle
Des marées
Hautes
basses
hautes et puis basses
Que faire du sable
Que faire de l’eau salée
Que faire du souvenir
Souvenir mouillé
Inerte
froid
O mon amour
Mon amour
Mon amour
Que faire de la vie


Chant 5


Huit septembre à minuit
La marée remonte 
Qu’attends-tu sous la lampe
Dans ce silence de malheur

Qu’attends-tu sous la lampe
Qu’attends-tu
Treize sont partis
Douze à minuit
Entreront dans la nuit

Fou
Fou le cheval noir
Battant l’air des deux pieds
Fou le cheval noir

L’océan est aveugle et sourd

Fou le cheval noir
Les naseaux ensanglantés
Ses yeux sont verts
Du vert des feux-follets
Treize sont partis
Compagnons
Treize qui chantaient
le huit septembre dans le soir tombé

                               



Chant 6


Douceur
O douceur
Tiédeur
Tiédeur des chairs humides
Pas même un frisson
Les feux qui s’éteignent
Étoiles phares lanternes et falots
Rouges verts ou blancs
Fixes ou mouvants
Clignotants
Scintillants
Lénifiante douceur de la mer en gésine
L’air qui s’endort
Cœur qui bat
Cœur
Cœur
Cœur
Le cœur d’un bateau tout près
Ou bien très loin
Tacata tacata tacata
Continu
Régulier
Tacata tacata tacata
Cœur cœur cœur désorienté
Cœur
Tac tac tacata tac
Tac
Mon cœur affolé
Soudain dans le brouillard épais
Mon cœur
Mon corps
Mes yeux
Et mon âme qui ne sait où aller

Huit septembre à minuit marée montante
Treize sont partis
Un seul reviendra


Chant 7


Fou le cheval
Les naseaux ensanglantés
Ses yeux sont verts
Du vert des feux-follets


Entends-tu
Entends-tu
Crissant sur le pavé
Les roues cerclées d’acier


Cloche du clocher
Combien de coups faut-il sonner
Saint Michel lavera sa chemise
Avec du bleu de lessive

mercredi 24 décembre 2014

UNE HISTOIRE DE CONGRE




UNE HISTOIRE DE CONGRE
















Par les nuits de septembre, il y a des congres, partout, entre Foulerot et Chassiron …. « Ouigre », des congres partout !

Tu vas à la pêche à l’ouillage -. Tu as ta gourbeille dans le dos, ton « espio’t » dans la main droite, ton langon en bandoulière, rejeté dans le dos …

Ah ! Un langon … Vous ne savez pas ce que c’est ?
-   Comment vous expliquer ? – C’est un peu compliqué.
-   Un langon, c’est une foëne (On prononce fouine). Une foëne, c’est un trident … Sauf que, comme  comme son nom l’indique, un trident, ça a trois dents et le langon, lui, il n’en a que deux … Deux dents, chacune avec un ardillon bien pointu, bien aiguisé.
-   La foëne, elle a au moins trois dents et parfois plus : Quatre, cinq … Elle sert à piquer le sable à marée basse pour prendre les soles et autres poissons plats …


Le langon, lui … Il ne sert pratiquement qu’à pêcher les congres … Les congres, en Oléron on aime ça ! On les fait rôtir au four.
Bon, le langon, on le reconnaît à son emmanchure : Le manche est beaucoup plus long que celui de la foëne, et beaucoup plus fin, beaucoup plus souple … Il est fait pour tripatouiller dans les trous des rochers.

Mon ami Louis, après avoir relevé ses tramails, autrement dit ses filets à soles … Mon ami Louis allait toujours, au moment de la marée remontante, « fouiner » dans certains creux des « grains » … Les rochers qui se trouvent quasiment devant la passe de Foulerot … Dans le prolongement des « écluses » des Blanchardières.








La nuit, les congres, on les voit passer au fond de l’eau. Il y en a partout. Ils sont, la plupart du temps, un peu plus gros que des anguilles. Il arrive pourtant qu’on en voie passer certains qui sont gros comme ma jambe. J’en ai vu quelques-uns qui étaient gros comme ma cuisse ! Ils s’approchent toujours du demi-cercle de lumière que projette dans la mer ta lampe à carbure d’acétylène … Lumière blanche, lumière crue : Elle attire les poissons comme une lampe attire les papillons !
… Un bon coup d’ « espio’t » sur la tête et le tour est joué : Attention cependant : Un congre, ça mord ! – Et ça mord bien ! … Bon, tu es prévenu !


Mais en plein jour, c’est dans les trous des rochers qu’ils se cachent, les congres les plus gros. Alors, Louis dégage la ficelle qui tient son langon dans son dos et prend en main son outil. Le manche doit bien mesurer quatre mètres. J’ignore de quel bois il est fait, mais ce que je sais, c’est que c’est un bois souple. Louis engage les  deux pointes d’acier
dans le trou du rocher … Oh ! Il les connaît bien, les trous à congre : Il les a assez souvent explorés !


-   «  Es-tu là aujourd’hui ? »
-   Et je te fouine à droite, et je te fouine à gauche, à petits coups …
-   -« Ah ! Tu n’es pas là ? … Où t’es-tu fourré ? … Si je te trouve ! »


Et le bras se tend et se détend, à petits coups pour ne pas émousser les pointes …
À droite, à gauche … En haut, en bas … Il y a souvent un homard à l’entrée du trou occupé par le congre : On dit que ce dernier attend que le homard ait changé de carapace pour pouvoir le déguster : Au moment où il mue, le homard est tout mou …

Mais aujourd’hui, pas de homard … Et pas plus de congre !

Un coup à droite, un coup en haut … Allons, plus profond dans le trou ! … Ah ! … Il remue ! Il est là ! … Et ça remue très fort : Il doit être gros !








Et je te farfouille … Je te tripatouille … Je l’empapaouterai, Je l’empatrouillerai, je te le jure ! … Je l’ai piqué, je vous l’assure … Il s’est décroché  … Oh ! Je te connais bien : Tu as reculé au fond du trou, tout au fond … Mais tu as été piqué … Tu es touché … Tu y viendras … Tu y viendras !

Là … Un bon coup ! Mon langon tressaute et tressaille … Tu y viendras, dans ma « gourbeille » !
Un coup sec, un bon coup … Là, il est piqué … Solidement piqué. Le sortir de là, maintenant, sans trop le déchirer avec les ardillons …

Tu viendras … Tu viendras … Là, mon gros … Là ! Dépêchons … La mer monte … Un bon coup d’espiot’, bien placé … C’est fini ! Hélène va être contente : Elle adore ça : Un beau tronçon de congre rôti ! Et celui-là, il est de belle taille : Gros comme une cuisse de jeune homme … Presque comme la mienne ! Rien à faire : Il ne tiendra pas dans ma corbeille … Il faudra que je me débrouille autrement … Je vais le piquer à la tête et puis je me servirai de mon langon pour le transporter par-dessus mon épaule … Allez, rentrons !

mercredi 3 décembre 2014

LE FORT BOYARD







LE FORT BOYARD








FORTES TÊTES !





                           
                                                         Henri Rochefort, journaliste polémiste




La dernière fois que je suis allé au fort Boyard, ce devait être aux alentours de l’année 1950. Il appartenait encore à la Marine Nationale, mais il avait été complètement pillé : Quelques morceaux de planches traînées par-ci par-là Quelques restes métalliques non identifiables … Plus de portes, plus de fenêtres. La bâtisse, pendant la guerre qui venait de finir ; avait été prise pour cible d’entraînement par les canonniers allemands, mais les murs n’avaient pas trop souffert.



















                                                                                    Fort Boyard - État actuel






Dans la cour ovale, parsemée de fientes d’oiseaux, du persil poussait … Il poussait là depuis longtemps puisque mon père nous racontait qu’il en ramassait déjà en 1938 !

Parfaite désolation, donc … Et les orbites crevées des meurtrières ne laissaient voir que le bleu pâle de l’Océan et le bleu encore plus pâle d’un ciel de septembre.







Ayant escaladé les marches de pierre, j’accède au dernier niveau et me voilà debout en plein air. Des cris retentissent de tous côtés à cet instant : Des oiseaux qui me semblent innombrables, hargneux, certains noirs, d’autres blancs, gris … Ils giclent et virevoltent … Ils me paraissent énormes. Goélands, cormorans, mouettes, sternes ou labbes … Hérons cendrés … Ce sont les habitants des lieux. Ils me témoignent leur adversité.





Hérons cendrés ? – L’un d’eux est manifestement en détresse : Il se traîne sur les pierres, ses grandes ailes battent le sol, il allonge le cou et le bec : L’une de ses pattes est brisée : Elle se redresse avec un angle étrange … Je me penche pour saisir l’oiseau … Mon frère, qui est resté à bord du bateau puisque le quai d’accostage n’existe plus, me crie :

      « Attention à tes yeux ! » …

Au même instant le bec me frappe à la pommette ! … Chance : Mon œil n’y eut pas résisté. Je cale le héron sous mon bras. Il ne résiste pas très longtemps … Il doit être épuisé : Depuis combien de temps est-il là, traînant la patte, incapable de s’envoler ?

J’emporterai le héron jusque chez le vétérinaire … Il refusera de le soigner … Je le déposerai près d’un bassin du square Para, à Rochefort, à côté de la place « Pique-mouche », ainsi dénommée parce que c’est là que se trouvaient les écuries … Mon héron … Qu’est-il devenu ?







Je l’ai dit : Ce fut la dernière fois que j’allai au fort Boyard … Il fut vendu à un Belge … Qui le revendit à un producteur de spectacles télévisés … Le Conseil Général de la Charente Maritime l’acheta ensuite, le répara sommairement et … Le concéda à l’organisateur de spectacles.

Personnellement, je n’apprécie pas beaucoup ce genre de spectacles, Mais, bon … Il faut de tout pour chaque public : Le fort Boyard, grâce à ces émissions, devint la vedette de cettecôte atlantique … Tous les gens qui arrivent de l’autre bout du monde demandent à voir le fort Boyard : Mes amis venant de Tahiti me demandaient dès leur arrivée : - « Où est-il ? »


Conçu dès l’époque du Roi – Soleil, achevé seulement sous Napoléon III … Conçu pour protéger le port de Rochefort et empêcher les flottes anglaises de pénétrer en Charente, Le fort Boyard, lors de son achèvement, était devenu parfaitement inutile : Nous n’étions plus en guerre contre l’Angleterre et, de toute façon, les canons modernes avaient acquis une portée telle qu’ils pouvaient parfaitement tirer à partir d’Oléron ou de l’île d’Aix !
Seule la télévision lui trouva une utilité !



Mais il fut un temps où son utilité présumée était d’une autre nature : Il y eut une garnison au fort Boyard : Ludovic Savatier, mon arrière grand-père en fut le médecin à sa sortie de l’école de Santé Navale de Rochefort … Je crois qu’il fut plus occupé par le choléra qui sévissait à ce moment en Oléron que par toute autre chose.




                            Louise Michel, anarchiste



1870 …. Sedan … Chute de Napoléon III … Révoltes des Communards … Luttes des Versaillais … Henri Rochefort, polémiste assez trouble … Louise Michel, institutrice anarchiste … Condamnations … Incarcérations en « forteresses » … Louise Michel et Henri Rochefort arrivent au fort Boyard … Rochefort quittera son cachot pour celui de la citadelle du Château d’Oléron. Il sera transféré à la citadelle de Saint Martin de Ré … Il sera rejoint par Louise Michel qui embarquera avec lui sur un bateau qui les conduira jusqu’en Nouvelle-Calédonie … D’où ils s’évaderont avec trois autres compagnons, seuls prisonniers ayant jamais réussi à s’évader du bagne de ce territoire … Mais ce serait une autre histoire ! … Que pourra peut-être vous raconter un jour le Père Fouras ! …

Vous ne vous souvenez plus d’Henri Rochefort, ni de Louise Michel ? L’un aurait pu devenir Président de la République et le cercueil de l‘autre fut suivi par des milliers de Parisiens …