vendredi 24 juillet 2015

LE NAUFRAGE DU PORT CALÉDONIA








LE NAUFRAGE DU PORT-CALÉDONIA















Un matin du mois de décembre mille neuf cent vingt quatre, et très précisément le deux décembre, les veilleurs découvrent, à six heures et demie du matin, un grand voilier à quatre mâts qui est venu donner sur le rocher d'Antioche. C'est un voilier à coque en acier. Il a encore tous ses mâts, et l'on s'aperçoit vite que, les rouleaux déferlant, une grande partie de l'équipage a grimpé dans la mâture. La mer monte depuis une heure vingt quatre, elle est donc presque à son plein, mais pas tout à fait ... Il y a encore du flux à venir. Le sémaphore signale le naufrage. Par radio, les veilleurs alertent aussi la Marine de Rochefort.
Les fonds, dans le pertuis, sont de trente mètres, mais le rocher d'Antioche, lui, dérase à marée basse. En mille neuf cent vingt quatre, il n'est pas signalé la nuit : Une balise sommaire, seule, le signale de jour. Nombreux sont les naufrages qui ont eu lieu en cet endroit.

Le navire qui s'est échoué, dont on ne connaît encore ni le nom ni la nationalité, doit bien mesurer près de cent mètres de long. On peut penser qu'il cale cinq mètres ou cinq mètres cinquante. Il est couché sur tribord, l'étrave vers le large. Il a touché la tête de la roche sur babord.

La station de sauvetage du village de Saint-Denis est avertie à sept heures. A huit heures, le canot Louise et Amélie , patron Octave Gaspard, sort de son hangar.... Impossible de le lancer dans le port par la rampe destinée à cet effet : Le port s'est ensablé : La rampe est impraticable. Un attelage de deux chevaux le traîne jusqu'à la plage et, après deux essais infructueux où il est pris de travers par les lames, il flotte enfin sur la mer démontée. Les huit rameurs souquent sur les lourds avirons. Les courants ne sont pas favorables et les vents sont contraires. Les déferlantes sont nombreuses.

Entre dix heures et quart et onze heures, le grand voilier perd tous ses mâts, qui s'abattent les uns après les autres. De la terre, on voit très bien les marins qui sont précipités à l'eau, en grappes ou les uns après les autres. Combien ont péri à ce moment-là ?
Sous les coups de boutoirs de la mer, le navire semble souffrir : La coque, semble-t-il, se tord et même, peut-être, se brise.











Les canotiers de Saint-Denis arrivent sur Antioche vers treize heures. Ils tentent d'approcher par le sud. Ils ont pris pied sur le rocher, mais il est absolument impossible d'aller plus avant : Les rouleaux et les brisants ne le permettent pas. On n'est cependant pas éloigné de plus de quatre cent mètres ... La partie arrière de l'épave a chaviré sur babord. On y voit très distinctement une quinzaine d'hommes, bien vivants, mais exposés à la vague la plus forte, la plus rageuse, qui arrache celui-ci ou celui-là, l'emporte, le noie.

A quatorze heures, le canot de Chaucre est lancé à la plage de Saint-Denis : Chaucre est la station la plus proche, on a hissé le canot sur un fardier. Un attelage de chevaux a fait de son mieux pour arriver au plus vite. Les Chaucrins ne parviennent pas vraiment à prendre la mer. Ils restent devant le port, impuissants.

Le canot de la Rochelle a été dépêché. Il a joué de malchance et il n'est pas en avance : D'abord parce que La Rochelle ne peut pas recevoir les messages radio du sémaphore de Chassiron ... _ Elle n'est pas équipée. Ensuite, prévenus par la Marine de Rochefort, les douaniers formant l'équipage sont dans l'impossibilité de procéder au lancement de leur canot à moteur : Son abri est placé dans un endroit tel qu'il s'échoue sur les vases de la marée basse ! Il faut bien du temps pour réussir à le mettre à l'eau !

Entre quatorze heures et seize heures trente, les canotiers de Saint-Denis, de là où ils sont, voient disparaître les naufragés l'un après l'autre, arrachés par les lames hargneuses et incessantes. Les sauveteurs venus de La Rochelle, eux, ne pourront approcher à moins d'un kilomètre du lieu du naufrage. Le remorqueur Toiras a lui-aussi appareillé de La Pallice. Il ne pourra approcher.

A seize heures, le canot de Saint-Denis quitte le rocher pour rentrer au port. Il reste encore trois hommes à bord du Port-Calédonia. Le sémaphore signalera que le dernier s'est jeté à la mer à seize heures quinze. Vingt trois corps seront retrouvés sur les côtes oléronnaises et inhumés dans le cimetière de Saint-Denis. On retrouva aussi le corps du chien du bord. Dès le milieu de l'après-midi, les derniers vestiges du Port-Calédonia étaient engloutis par les flots. On n' a rien retrouvé de la coque. elle a été complètement disloquée.











Le dimanche sept décembre, les corps n'étaient pas tous retrouvés. Un service religieux est cependant célébré par le pasteur Paul Froment, de la paroisse protestante de l'île d'Oleron. Le Consul de Finlande à La Rochelle, monsieur Érich Morch y assiste. Tous les habitants de Saint-Denis sont là. On est venu, même, des communes voisines.

Le navire, un quatre mâts barque était commandé par le capitaine Karlssonn. Selon la patente de santé signée à Méjillones, il y avait vingt cinq hommes à bord. Venant des côtes d'Amérique du sud, il avait fait bonne route. On peut imaginer qu'il s'était arrangé pour se présenter devant l'entrée du pertuis au petit jour. Il n'a pas embarqué de pilote. Il aura serré de trop près la pointe de Chassiron et sera venu se mettre au plein sur le rocher d'Antioche. Il n'était pas le premier à subir pareille mésaventure mais la plupart des bateaux qui étaient venus s'échouer là n'avaient pas perdu d' hommes, à une ou deux exceptions près. Le Port-Calédonia, lui, s'est perdu corps et biens.
On peut aussi penser que, bien qu'il ait fait bonne route, le navire aura été drossé sur le rocher par une bourrasque ... Il en est de fortes en effet. Qui le dira ? 



lundi 13 juillet 2015

REVENIR EN OLÉRON ?










Pierre Loti - Plaque de bronze, à Boyardville, apposée là où débarqua le cercueil de l'écrivain.



En 1995 la maison d'édition "LE CROÎT VIF", spécialiste de l'édition charentaise produisait sur souscription un petit livre broché qui est un petit trésor :

Il présentait  deux textes qui sont chers aux Oléronnais et aux amis d'Oléron :

                 LA MAISON DES AÏEULES 
           suivi de 
                 MADEMOISELLE ANNA
                 TRÈS HUMBLE POUPÉE



Ces deux textes sont signés de Pierre Loti et illustrés admirablement par André Hellé. Il s'agit d'une réédition de luxe d'un livre édité à l'origine par H. Floury, éditeur à Paris en 1927 ...

En 1995, je me trouvais à Tahiti ... Où, natif de Rochefort, je rencontrais Pierre Loti, mon "doublement compatriote" ... Doublement puisque, comme lui, j'avais mes origines en Oléron !

Je retrouve ce petit livre aujourd'hui, dans les rayons de ma bibliothèque ... Je relis ce texte et, après avoir écrit moi-même sur les changements survenus en Oléron et sur le devenir de cette île si chère à mon coeur ... Je médite :









-  " À côté de mon fils, sur les marches du seuil, je m’assieds pour songer, dans ce silence, au milieu de ces herbes. Jamais avec autant d’effroi je n’avais entrevu l’abîme, le définitif abîme ouvert entre ceux qui vivaient ici et l’homme que je suis devenu. Eux étaient les sages et les calmes, et ma destinée, au contraire, fut de courir à tous les mirages, de sacrifier à tous les dieux, de traverser tous les pandémoniums et de connaître toutes les fournaises ….





                      Maisons en Oléron ... (à St. Trojan-les-Bains).





En ce moment, des phrases me reviennent à la mémoire, prononcées par mon cher Alphonse Daudet, un jour où nous causions de mes origines et de mes ascendants de Saint-Pierre-d’Oléron : « Toi, vois-tu, - me disait-il, en riant avec compassion et mélancolie, - tu as surgi là comme un diable qui sort d’une boîte. Plusieurs générations, qui étouffaient de tranquillité régulière, ont tout à coup respiré éperdument par ta poitrine … Tu paies tout ça, Loti, et ce n’est pas ta faute … »

Est-ce que je sais, moi, si je suis responsable, ou si c’est mon temps qu’il faut accuser, ou si, simplement, je paie ou j’expie ? Mais ce que je vois bien, c’est que la mousse et les fleurettes sauvages ont pris possession de ces marches sur lesquelles nous sommes, et que nous n’aurions pas dû troubler par notre présence étrangère. Et, ce je sens bien, c’est que l’ombre triste de ces vieux arbres descend comme un reproche sur ma tête. – Non, ils ne me reconnaîtraient point pour un des leurs, les ancêtres de l’île, et leur maison ne saurait plus être la mienne. Ils avaient la paix et la foi, la résignation et l’éternel espoir. L’antique poésie de la Bible hantait leurs esprits reposés ; devant la persécution, leur courage s’exaltait aux images violentes et magnifiques du livre des Prophètes , et le rêve infiniment doux qui nous est venu de Judée illuminait pour eux les approches de la mort. Avec quelle incompréhension et quel étonnement douloureux ils regarderaient aujourd’hui dans mon âme, issue de la leur ! … Hélas, leur temps est fini, et le lien entre eux et moi est brisé à jamais … Alors, revenir ici, pour
quoi faire ?

D’ailleurs, une seconde fois, je ne retrouverais sans doute même pas les impressions profondes de cette journée ; il n’y aurait plus , pour mes suivants retours, ces nuages et cette saison, ce renouveau d’avril entre ces murs abandonnés, ce jardin refleuri sous ce ciel noir, rien de ce qui agit à cette heure sur le misérable jouet que je suis de mes nerfs et de mes yeux.

Le mieux serait donc, il me semble, de laisser sommeiller toutes ces choses, de refermer respectueusement cette porte, comme on scellerait une 
entrée de sépulcre, - et de ne plus l’ouvrir jamais …


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Un sépulcre ! ... Cette porte, en fait, est remplacée de nos jours par une porte battante : Elle ne s'ouvre que pour les vacances des gens des villes ! Elle est même devenue un portail  ... Une porte cochère, pour laisser passer des foules d'"Oléronnais intermittents" !