dimanche 18 octobre 2015

LE THÉÂTRE D'ARDOISES





LE THÉÂTRE D’ARDOISES





















                   Un soir … Un beau soir de printemps … Nous avions laissé la voiture à l‘entrée d’un pont, et nous étions  partis à pieds à travers les marais. Un goéland criait en tournant au-dessus de nous … Mais il criait ! Les cercles qu’il décrivait, montant, descendant, avaient pour centre un tas de cailloux. J’allai y voir : tout en haut, trois œufs … Les goélands avaient élu cet emplacement pour en faire leur nid ! Était-ce le mâle … Était-ce la femelle ? … Je n’ai rien touché et je suis reparti. Derrière moi, les cris ont cessé : Tout était rentré dans l’ordre.

                 C’était non loin de Boyardville, en venant de Dolus. Nous avions quitté la route sur la droite. C’est une zone ostréicole. Les anciens marais salants étaient tous transformés en claires. On apercevait des bâtiments ostréicoles et du matériel entreposé au bord d’une petite sente. Et puis …

                 Et puis, juste à côté du tas de cailloux sur lequel les goélands avaient niché, une construction curieuse nous apparut : Il y avait là, fraîchement construits … À l’évidence, c’étaient les gradins d’un théâtre à l’antique ! … Un théâtre tout semblable à ceux des Romains – Vous savez, il y en a encore chez nous et cela nous fait rêver à Astérix et Obélix … On avait relevé la terre, on l’avait revêtue de plaques d’ardoise … Vous savez, ces plaques d’ardoise que les ostréiculteurs utilisaient naguère comme collecteurs de naissain …


                On voyait bien que les travaux n’étaient pas achevés, mais leur avancement était tel que l’on comprenait aisément ce qui se passait là …
Et l’on ne pouvait que s’extasier sur l’intelligence des promoteurs : Pensez donc : Un théâtre de plein-air !… Un théâtre assez grand pour accueillir des centaines de personnes … Et surtout, un théâtre qui ne coûtait rien, ou presque rien ! Les matériaux étaient des matériaux de récupération, appartenant à l’ostréiculteur propriétaire du terrain …. Les travaux étaient faits par une bande de copains qui n’avaient rien demandé au Ministère des Affaires Culturelles, ni au Préfet, ni même au Maire … Ils n’avaient rien demandé aux habituels distributeurs des ressources tirées des poches des contribuables !

                         J’ai crié au génie ! Tout de suite : Le génie !

                         Et puis … Le théâtre d’ardoises était né, et tous les étés, il présentait des groupes artistiques de qualité … Il n’y a pas tant, en Oléron, de manifestations artistiques de qualité : Les estivants ont pris vivement l’habitude d’enfiler le sentier pour s’asseoir sur les gradins d’ardoises …

                        On me dit que cette géniale installation ne respecte pas les règles d’urbanisme … Qu’elle n’a pas reçu de permis de construire … Que sais-je encore ?

                      Écoutez : On ne critique pas le génie … On ne demande pas que l’on fasse venir le gendarme ! On applaudit et on aide ! …. Oui, on aide : Point n’est besoin de prendre une pioche ou une pelle : Ce travail-là, il est fait ! On aide en facilitant la mise en règle par rapport aux normes qui n’ont pas été respectées et on intervient là où il le faut, pour faire obtenir les autorisations et les régularisations nécessaires !

                       Mais on ne montre pas du doigt en criant AU LOUP !
Et après, on applaudit et on demande à Madame la Ministre de la Culture l’attribution, pour l’idée de génie et pour le travail accompli, d’une Médaille des Arts et des Lettres qui saluerait d’un coup de chapeau !! On pourrait encore demander l’appui de l’Académie de Saintonge … Elle décernerait bien une médaille !

                  On pourrait rappeler que ce sont les Maires qui sont chargés de faire respecter les réglementations … J’ai bien eu le temps, moi, de voir s’édifier le Théâtre d’Ardoises … Les gens qui sont payés pour cela ont, aussi, bien eu le temps de savoir …En intervenant à temps, ils auraient pu éviter aux associations des démarches désagréables pour tout le monde : L’atmosphère d’Oléron en eût été plus légère. 

vendredi 16 octobre 2015

DU MIEL !



DU MIEL !



























Pour aller voir les abeilles, tu mets des vêtements amples. Ainsi, elles ne pourront pas te piquer à travers le tissu. Tu mets des botte, des gants épais. Sur ta tête, tu mets un canotier comme en portait Maurice Chevalier. De ses bords tombe un tulle de toile à moustiquaire, que tu fais bouffer un peu avant de le rentrer sous ton col. Équipé de cette façon, en principe, tu ne crains rien.


Je me souviens pourtant que mon père ... Il avait dû mal disposer son voile ... dut garder le lit pendant plusieurs jours. Il s'était fait piquer, avait fait une réaction allergique ... Son visage était gonflé, gonflé !


- " Ma tête ressemble à une tête de veau bouillie. Il n'y a plus qu'à me mettre du persil dans les narines !"


Pierre Perroteau, lui, ne se faisait jamais piquer. Il manipulait un petit soufflet, ( catalogue Manufrance !) une toile de jute s'y consumait lentement , rougeoyant, dégageant une fumée jaunâtre, âcre. Le "Gros Pierre", ( rien ne justifiait ce sobriquet, mais peut-être qu'il l'avait mérité un jour ?) Le "Gros Pierre dirigeait le jet de fumée vers l'entrée de la ruche. Il en soulevait le toit , enfumait les rayons de la hausse. Ils ôtait les cadres et les déposait dans une cantine militaire réservée à cet usage. Il la refermait. Les insectes semblaient engourdis et ceux qui revenaient des champs, les pattes chargées de pollen, se tenaient à distance. Examen de la ruche : Pas d'araignées rouges ( cela vous détruit toute une ruche, les araignées rouges ! ) Du propolis bien réparti ... On replaçait la hausse vide, on lui remettait son toit. On emportait la cantine et ses rayons de miel. On reviendrait plus tard pour replacer les cadres lorsqu'ils seraient vides.


L'extraction du miel avait lieu à Saint-Georges, chez le "Gros Pierre". Vaste maison bourgeoise, l'une des plus vastes du bourg. Le père de Pierre Perroteau avait été percepteur, je crois. Je me souviens d'une grande cuisine, d'une large cheminée devant laquelle il y avait un tourne-broche à mécanisme d'horlogerie ... Curieuse impression de fin d'époque et de fin de race ...


Le "Gros Pierre" ne s'était jamais marié. Il n'avait jamais travaillé non plus. Il avait vivoté au rythme des ventes de morceaux de terrains qui avaient constitué son patrimoine. La table, dans la cuisine, était en permanence encombrée de papiers gras et de reliefs de repas. Dans la pièce attenante, là où se trouvait l'extracteur à miel, le plafond à demi écroulé, victime des termites, laissait passer les pieds d'un lit de fer forgé. Il y avait une accumulation d'articles de pêche et de meubles déglingués. De l'autre côté, il y avait une grande salle à manger qui n'était plus utilisée depuis longtemps ... Longue table, chaises droites. Il y avait un tapis de poussière sur les meubles. Aux murs étaient accrochés des cadres aux vitres bombées, ne contenant plus que des petits tas de plumes là où il y avait eu des oiseaux naturalisés. . J'ai connu la mère de Pierre Perroteau, elle était Créole. Énigmatique personne, faisant un peu le ménage de son fils, passant les après-midi au soleil, assise devant sa porte, dans un fauteuil de bois au dossier paillé. Le teint de Pierre Perroteau, terreux et gris avait conservé quelque chose de ses origines mêlées. La famille avait fait fortune aux Antilles autrefois ... Une fortune dont il ne restait rien. Mais j'ai vu le "Gros Pierre" surveiller les foins et les battages dans des fermes qui ne lui appartenaient plus.













Il fréquentait mon oncle Marc Mérignant ( le frère aîné de ma grand'mère paternelle ), Celui-ci était un ancien Administrateur-en-Chef des Colonies. Il avait exercé ses fonctions à Madagascar. Il était lui-aussi célibataire. Chaque soir, Pierre Perroteau venait faire "la partie" chez mon oncle, avec "Compagnon( ... Vous n'avez pas connu "Compagnon" ? Petite taille et forte moustache, chemise blanche et pantalon de grosse toile, fumant une éternelle pipe. Il habitait la maison vosiine de celle de mon oncle. Il avait été "Compagnon du Tour de France". Cela m'émerveillait. J'ai toujours pensé, mais je n'en ai aucune preuve, qu'il avait été tailleur de pierre... Un Commandant en retraite faisait le quatrième. Il avait été l'un des derniers grands Cap-Horniers et un albatros aux ailes déployées plane sur sa tombe.


Pierre Perroteau portait habituellement un faux-col, assez marqué par la crasse. Il arborait une large lavallière et un large chapeau. Sa veste sombre luisait par endroits ... Ayant déposé la cantine de fer à côté de la centrifugeuse, s'aidant d'un couteau à la lame souple, il désoperculait les rayons de miel, les plaçait dans la cuve. C'était moi qui tournais la manivelle de la centrifugeuse et je n'étais pas peu fier de cet acte de liturgie !


-" Régulièrement et pas trop vite ! "


Je ne suis pas un grand amateur de miel, mais ces jours-là ! ... Le parfum du miel d'acacia, coulant clair dans les bocaux ! On écrasait un morceau de rayon, le miel vous emplissait la bouche et la cire collait à vos dents ...




Comme nous passons toutes nos vacances d'été dans l'île d'Oléron, là où sont nos racines, je connais bien ce bourg de Saint-Georges, serré autour de son église. Quand on monte au clocher, sur la grosse cloche de bronze, on peut lire le nom de mon aïeul, qui en fut le parrain;.... À vrai dire, il n'y a pas de véritable clocher, à peine un campanile. L'église est en partie romane, elle date du XI eme et du XIII eme siècles. Elle s'enorgueillit du souvenir d'Aliénor d'Aquitaine. De la seigneurie il ne reste guère que des traces : Grosses bâtisses et hauts murs, larges cheminées de pierre. Le bourg compte trois ou quatre maisons bourgeoises portant toutes le nom de "château". L'une porte encore le nom de ma famille, ayant été édifiée par mon aïeul, le Médecin de Marine, à son retour du Japon.




Chez mon oncle Marc, je revois des portes à rideaux de bambou et de perles de verres. Ces portes donnent sur une cour gorgée de soleil. Je revois un papier tue-mouches, pendant au plafond du couloir. La chienne veille, au pied de l'abricotier, attendant patiemment que tombe un fruit bien mûr. Dans le grand buffet ciré, je sais qu'il y a des sucres d'orge et des berlingots que mon oncle ramène de ses cures à Vichy, avec les célèbres pastilles blanches mentholées, demi-sucrées, demi-salées. Il est parcimonieux dans ses distributions. Nattes de rabane malgache, quelques objets exotiques, dont un coquillage coupé en deux qui sert de cendrier. Dans l'atelier au fond de la cour : tout l'attirail de Bouvard et Pécuchet, outils à bois, rangés au tableau par tailles décroissantes, outils à métaux, perceuse, scies ... Et l'inévitable tour à bois mû par un moteur électrique à transmission par poulies et courroies apparentes.


-"Gratouillard ! Farfouillard ! Salopard ! Fous-moi le camp d'ici !"


Je venais de me faire surprendre au moment où j'empruntais sans autorisation une "clef à huit trous" pour réparer mon vélo Quant au premier des trois qualificatifs dont j'étais ainsi affublé, il était dû à l'urticaire dont l'été m'accablait immanquablement.


Derrière son atelier, au-milieu du grand chai, mon oncle fignolait un canoë à partir d'un flotteur d'hydravion : superbe travail ! Nous fîmes une fois l'essai de ce bateau, dans le canal, près du bourg. Ce fut un grand moment !










Un autre chai abritait deux voitures. L'une verte, l'autre grise. Toutes deux étaient des cabriolets. L'une, raffinée, était utilisée une fois par ans, por les départs à V ichy, l'autre servait pour les routes poussiéreuses de l'île d'Oléron qui ne connaissaient que peu l'asphalte. À dire vrai, l'oncle Marc était un peu pingre sans doute : Il économisait sur l'essence et tâchait plutôt de se faire véhiculer par les autres. J'eus rarement le bonheur de monter dans le spider, à l'arrière de "la verte". C'était grisant pourtant : on sentait le vent vous fouetter la figure.


Mon oncle Marc est mort le jour de mon baccalauréat. Selon son testament, il laissait "tout", "absolument tout" à mon père, Lucien ... Il fallut vingt cinq ans de procédure pour faire lâcher prise à sa fratrie qui contestait le testament ! Lorsque tout fut réglé, les deux voitures étaient pourries.
Sur un terrain boisé, il avait fait construire un pavillon. Les néfliers pullulaient. Il en avait greffé sur tous les pieds d'aubépine. Vous parliez de Bouvard et Pécuchet ? - Je n'ai jamais mangé une nèfle qui soit bonne ... Vous croyez que ça arrive à mûrir sans pourrir, ces fruits-là ?


... "Il faut les laisser sur les branches et laisser passer l'hiver avant de les cueillir" ... Va donc !



DES NÉFLES ... EN CHARENTES ON LES APPELLE DES "MELLES"

dimanche 11 octobre 2015

L'ÉCLUSIER DU DOUHET





LOUIS ET SUZANNE



























C’était l’éclusier du Douhet. On le voyait peu à la maison. Il était toujours parti par les ruissons et les marais. Dame, le Syndicat le payait pour veiller à la fermeture, à l’ouverture judicieuse des varagnes, autrement dit, c’était lui qui fermait ou bien ouvrait les écluses pour faire entrer l’eau de mer dans les marais lorsque le coefficient le permettait, ou bien pour les vider : C’est une vie qui ne se règle pas sur la pendule, mais sur l’annuaire des marées, publié par l’Imprimerie Pattedoie de Marennes.

Certes, on ne fait plus de sel dans les marais du Douhet, mais il y a des vaches sur les bosses, broutant parmi les joncs et les tamarins, là où, autrefois, on semait de l’orge et du blé . Si l’éclusier ne fait pas son travail, les ruissons restent à sec, les bêtes les traversent et divaguent : Les éleveurs sont mécontents. 

Louis Conil faisait son travail à merveille : La marée était à une heure du matin ? – Il allait tourner ses manivelles à minuit ! Jamais, à ma connaissance, on ne le prit en défaut. L’éclusier a un rôle essentiel dans un pays de marais, et Dieu sait si nous en avons, des marais ! 

Mais les marais sont aussi de vastes étendues pour la chasse, pour la pêche, pour la promenade. En ce qui concerne les couleurs, ce sont toutes les palettes qui s’offrent à nous : Gris-ardoise des bassins secs, verts sombres des tamarins qui les bordent, vert tendre de l’herbe au printemps, violets des fleurs d’artichauts sauvages, qu’on utilise pour faire cailler le lait , piquetages blancs des pâquerettes, taches rousses des champignons en automne, petits mousserons, brunettes plus larges et plus claires, « gros-pieds presque blancs, bleus du ciel qui se reflètent lorsque les marais sont pleins, bleus-verts lorsque la chaleur a fait pousser les algues à la surface de l’eau, jaunes d’or que répandent les mêmes algues par les fortes chaleurs d’été.

Et puis les odeurs Monsieur ! Les odeurs : Effluves du fenouil et odeurs d’absynthe, odeurs des luzernes et des bourraches …

Une poule d’eau vous part dans les pieds dans un battement d’ailes éperdu. Un vol de vanneaux arrive en ordre dispersé, se forme en un champignon de nuage. Ils s’abattent sur une bosse herbue. On entend leurs pépiements incessants. Les vanneaux, on ne peut pas les approcher, ils s’envolent dès que l’on approche. … Si, en voiture, par une route proche, on peut les voir de très prés, mais allez donc ouvrir votre portière : Pffuit ! Ils sont partis !

Le taureau à Mérignant s’ennuie dans son pré, on l’entend beugler à petits coups brefs ; cela fait froid dans le dos.

Louis Conil avance à pas longs et lents. Il a chaussé des bottes de caoutchouc. Il a son fusil sous le bras : la rencontre d’un courlis n’est pas rare ; il se lève presque à la verticale en poussant un long sifflement modulé sur deux tons … L’accord parfait ! Louis n’a plus que deux doigts à la main droite. Je n’ai jamais su ce qui lui est arrivé, mais il conserve le pouce et l’index, une pince qu’il utilise de façon très adroite. Il faut le voir relever ses nasses à anguilles, qu’il place dans l’aqueduc souterrain qui fait commun iquer le canal du Douhet avec la mer !

Les anguilles, Suzanne les fait griller sur les braises d’une trousse de sarments. Nous sommes dans la période d’après-guerre. Elle a ouvert un restaurant dans la maison du Douhet, au bord du canal. Les ouvriers des chantiers avoisinants viennent y manger volontiers. Ils boivent le petit blanc du pays et dégustent les volailles élevées à la maison. Suzanne est une femme de caractère, vaillante, qui ne rechigne pas à aller tirer de l’eau au puits, de l’autre côté du ruisson. Elle affronterait n’importe qui. Son seul point faible : Elle a peur des lézards, mais une peur bleue …Vous ne pouvez pas vous rendre compte de la peur que ces inoffensives bestioles lui inspirent et, bien entendu, nous en introduisons dans sa chambre par les fenêtres entrouvertes. Chez nous, il y a beaucoup de lézards, gris ou même verts. Ah ! Vous pensiez qu’il n’y avait que les souris qui faisaient hurler les femmes ! Eh bien vous vous trompiez, les femmes hurlent aussi quand on leur parle seulement de « ti-lézards », autant que lorsqu’elles aperçoivent une araignée ou une souris, et il est vrai qu’elles monteraient sur une chaise alors qu’on prononce seulement le mot qui désigne cet inocent reptile !

Louis n’entendait rien, bien sûr : Il était en train de s’occuper de ses varagnes ou des rangées de ses cloches à melons, là-bas, derrière les tamarins. À moins qu’il ne fût occupé à planter des pins. 

Mais non … Aujourd’hui ce n’est pas cela : En ce moment même il traverse un étier, de l’eau jusqu’au ras des bottes et, se baissant, il ramasse deux sarcelles … Vous n’aviez pas entendu son coup de fusil ?


























jeudi 1 octobre 2015

LE CRÈV' SOT'











LE CRÈV’ SOT’


Le musée de Saint-Pierre d’Oléron en expose un, mais, si je ne me trompe pas, l’étiquette le présente comme un « tricycle » …

C’est bien un tricycle, en effet : Il a un siège et trois roues nanties de pneumatiques … Il a un guidon, comme les bicyclettes. Il a des pédales pour le faire avancer. Il a une sonnette pour avertir les piétons. Il est généralement peint en noir.

Vous me direz qu’on en fabrique encore de nos jours, des tricycles, légers, modernes … Certains sont même très pratiques : On peut, derrière la selle, poser ses paniers … Oui, mais ces engins ont peu de choses à voir avec les crèv’sot’ !



Du temps de ma jeunesse … Et c’est dire que mon âge commence à mériter l’attribut de « canonique » … Du temps de ma jeunesse, nul ne se serait attardé à regarder un crèv’sot : Il y en avait tellement !



Cet engin qui vous paraît aussi antique que le diplodocus était utilisé surtout par les hommes d’un certain âge … Et les femmes d’une certaine corpulence … Il avait l’avantage de tenir debout tout seul quand on l’abandonnait devant l’église pour la durée de l’office ou au coin du champ lorsqu’on allait faire les foins ou vendanger… bien sûr, on prenait soin de le mettre à l’ombre, tout comme vous feriez pour votre vélo.








Vous en avez déniché un dans le fond d’une grange ? Aurez-vous le courage de l’essayer ? – Facile, direz-vous : Avec trois roues, on ne peut pas tomber !

Ouais, Facile ! … Tout d’abord, il faut grimper dessus et donc lever la jambe … Bon, vous avez réussi à vous asseoir sur le siège ? … Prenez le guidon en plaçant bien vos deux mains … Attrapez les pédales et calez vos pieds … Si vous arrivez du premier coup à partir et à rouler tout droit devant vous, vous êtes bon pour vous engager dans un cirque comme acrobate ! …







Pour ma part, au premier essai, l’engin a refusé obstinément d’adhérer à la ligne droite : Le guidon me conduisait sur la gauche et le tricycle a décrit un cercle ou ce qui y ressemblait beaucoup … Ah bien oui, facile ! … Redressez le guidon et recommencez : Vous partez sur une superbe courbe, à droite ou à gauche … Vous voilà incapable de prédire où vous irez !

Vous avez parfois appuyé durement sur les pédales de votre vélo, sur la route qui va de Sauzelle à Saint Georges ? … Avec le vent debout, il arrive que la randonnée soit ardue, mais essayez donc lorsque vous serez grimpé sur le tricycle … Vous comprendrez vite pourquoi un Oléronnais ne parle jamais d’un « tricycle », mais a baptisé cet engin le « crèv’sot’ ».



Notons au passage que les Oléronnais prononce tous les « t » lorsqu’ils se trouvent à la fin des mots … Et même lorsqu’il n’y en a pas : Par exemple, en ce qui concerne le village de « Dolus », ils diront « Dolut’ » … J’ai retrouvé cette particularité langagière dans le créole de certaines îles ou quelques oléronnais ont dû émigrer …


Bon, vous avez compris ? L’engin était lourd, il fallait une certaine habitude pour le piloter et, lorsque le vent soufflait … Et c’est pour cela qu’on l’avait ainsi baptisé … Vous y êtes ? … Crève sot !

Ah, il fallait voir la Marie, lorsqu’elle venait jusqu’au bourg : Croupe large, enveloppée dans une vaste robe noire, son fichu noir sur la tête …



 Se déhanchant à droite, puis à gauche pour pédaler. On dit qu’elle pesait tant sur les pédales qu’un beau jour elle en a cassé une ! … Le père Crépeau l’a réparée sur son enclume, dans sa forge !

Je me souviens aussi du grand Jacques, tout maigre, aussi long qu’une asperge … Il pédalait sagement et s’arrêtait pour souffler lorsque le vent était trop fort … Il laissait ensuite son crèv’sot’ devant la porte du café de l’océan … Si l’engin n’y était pas, c’était que le grand Jacques n’y était pas !

Ah, les crèv’ sot’ ! Ils faisaient partie du paysage oléronnais et … Au Moins … Ils ne faisaient pas de bruit ! Madame, Madame la conservatrice du Musée d’Oléron, changez vite l’étiquette, je vous en prie  !