dimanche 28 février 2016

MES AÎEUX OLERONNAIS.













OLÉRON








                      Ludovic Savatier - Médecin en chef et naturaliste, spécialiste du Japon.
                                                              Membre du Muséum d'histoire naturelle de Paris.












L'été, ma famille prenait le train et partait dans l'île d'Oléron, par Toulouse et Bordeaux. Debout dans le couloir du wagon ou bien allongé sur le plancher, dans un soufflet. L'air sentait le charbon. Au gré des courbes de la voie nous apercevions la locomotive. Nous recevions des escarbilles dans les yeux. Nous arrivions épuisés.

Nous rendions d'abord visite à ma grand'mère paternelle, à Rochefort. Notre maison était louée, mais elle occupait un petit appartement dans le fond de la cour, au premier étage. Elle vivait seule, cousant, tricotant, faisant du crochet, brodant des coussins.

-"Elle a de l'or au bout des doigts. Pourquoi n'a-t-elle jamais voulu travailler ?"

J'aimais bien ma grand'mère mais je ne la voyais que rarement. Lorsque nous allions la voir, il semblait toujours qu'un malaise s'installait entre elle et mes parents. On parlait peu. On soupirait beaucoup. Ah ! les non-dits, dans les familles ! Pourtant elle m'écoutait, elle, elle me parlait lorsque nous en avions l'occasion. Mais il me semblait qu'en me parlant, elle se surveillait, comme si on avait pu la surprendre et lui faire des reproches. Ma grand'mère ne m'accablait pas, elle, sous les poids accumulés de mes "sottises" !

Oh ! Et puis quelles "sottises" ?

J’avais laissé un jour tomber le seau au fond du puits ... J'avais raconté je-ne-sais-quoi, pour essayer de me faire valoir un peu ... En fait, ce que l'on ne me pardonnait pas, c'était mon manque d'intérêt pour les études. En cela, je n'étais pourtant pas le premier dans la famille, je crois. Quant aux sottises ... D'autres ont fait beaucoup mieux depuis !

Pendant un temps, mon grand-père maternel habita au fond de la même cour que ma grand'mère paternelle, avec sa compagne qui, dit-on, avait été sa bonne. Il y eut des prises de becs homériques entre le rez-de-chaussée et le premier étage. ! Le grand-père accusait la grand'mère de balayer intentionnellement les poils de son loulou de Poméranie par-dessus son balcon.

Ma grand'mère était veuve depuis l'âge de vingt ans. Elle avait vécu très peu de temps à Madagascar, où mon père était né. Elle était revenue de là-bas seule avec son bébé. Je crois que mes parents n'ont jamais admis qu'elle demeurât chez nous sa vie entière, sans travailler.

Il y a toujours eu autour du personnage de mon grand-père paternel quelque chose qui tenait du mystère. Il était mort là-bas, à Majunga sans doute. Je comprenais qu'il n'avait guère réussi dans sa vie. Je savais qu'il avait été "Commis aux Écritures" dans l'Administration Coloniale, aux alentours de mille neuf cents ...

Un jour, je trouvai dans un tiroir une lettre dont l'enveloppe jaunie ne portait aucune mention de son auteur. J'y lisais : -"Pauvre Léon, lui qui aimait tellement son enfant" !



















                                       À Madagascar - Mon grand père paternel, Léon Savatier




En fait, le grand homme de la famille, celui qui est à la fois l'aïeul et la référence, c'est mon arrière-grand-père paternel. Je possède une photo de lui, encadrée de bois doré, veste à boutons dorés, feuilles de chêne brodées d'or, assis sur un fauteuil, l'épée sur les genoux. Il a la tête nue, mais son bicorne n'est pas loin. Il arbore de larges rouflaquettes ... Ludovic Savatier, Médecin en Chef de la Marine nationale. Il porte la médaille d'Officier de la Légion d'Honneur. Il a été l'un des tout premiers européens à pénétrer au Japon, faisant partie aux environs de la moitié du dix-neuvième siècle, d'un groupe de français installé là-bas pour y construire un arsenal. Il y resta plus de dix ans. C'est un botaniste célèbre.On raconte que, passant par la Chine, il se trouvait présent lors de la mise à sac du palais d'été. La soldatesque franco-anglaise pillait les bronzes et les porcelaines.
 Il sortit du palais, lui, avec une rose à la main ! L'histoire est belle, il faut la conserver; Elle est crédible puisque ses collections, son herbier, très important, est toujours exposé au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris. En fait, elle est fausse sans doute : les dates ne lui permettaient pas de se trouver en Chine à ce moment-là. Mais elle est si belle, cette histoire ! J'ai vu des universitaires japonais en Oléron, venus tout spécialement pour avoir accès aux archives familiales et visiter la maison de Ludovic Savatier. Cette maison a été vendue …

-" La grand'mère a tout dilapidé. Elle s'est fait escroquer par son notaire."

A dire le vrai, la grand'mère n'y a jamais été pour rien. J'ai retrouvé une reconnaissance de dettes : son mari avait emprunté une forte somme, avant son mariage et son départ pour Madagascar. La pauvre femme avait tout payé. Silence dans la famille.

- "Elle a tout vendu. Il y avait des porcelaines précieuses, des étoffes de soie" ! ... Et pourquoi pas des Bouddhas en or pendant qu'on y était ! Il ne reste presque rien ... Il n'y eut jamais rien d'autre, disent certains, rien que le portrait d'une jeune Japonaise, jouant d'une sorte de guitare ronde à cordes multiples ... Et puis des mots, il reste des mots ... Qui ne furent pas toujours tendres !

L'histoire de la succession de Ludovic Savatier est beaucoup plus compliquée que cela, je ne l'apprendrai qu'aux alentours de mes cinquante ans et je me demande encore pourquoi on l'a faite si compliquée ...


Mon grand-père maternel, lui, était un homme d'un autre genre. Quel personnage ! Il avait, disait-on, construit et dévoré plusieurs fortunes, de vraies fortunes ! Je sais qu'il avait été, à un certain moment de sa vie chef de rayon aux Grands Magasins du Bon Marché. Il avait des attaches, je crois, dans les Vosges. Il avait aussi vécu à Auxerre. Périodiquement, et je n'ai jamais su pourquoi, il déshéritait ma mère, sa fille. Il avait possédé un authentique château, peut-être deux. Il avait été zouave en Algérie et y avait construit des routes. Son beau-frère, l'oncle Pierre, disait en parlant de lui :


-" Ton grand-père, quand il n'avait plus un sou, il frisait sa moustache, il mettait son habit, prenait son chapeau ... Il allait sur les Champs-Élysées ... Il revenait riche ! C'est fou, le succès qu'il pouvait avoir auprès des femmes ! "

Époque de grands sauriens : Sur une branche collatérale de mon arbre généalogique figurent Jose-Maria de Heredia, Pierre Louÿs, Henri de Régnier et René Doumic ... Sait-on que, désargenté, Pierre Louÿs s'installa dans un hôtel de Biarritz pour y écrire un livre ... Ce livre, il ne l'écrivit jamais ... Il déménagea à la cloche de bois faute de pouvoir payer sa pension et celle de sa femme ... qu'il laissait en gage ! C'était la Belle Époque !
C'était la grande Époque !
Mon grand père et l'oncle Pierre avaient tous deux débuté comme garçons de courses chez Hachette! Les deux derniers avatars de cette vie méritent d'être racontés. Ils valent leur pesant de sous-percés !

Mon grand-père, en mille neuf cent trente-neuf, possédait une villa dans le Parc, à Royan. C'était un homme avisé : Il avait prévu la guerre. Il avait prévu (allez donc savoir pourquoi ! ) la destruction de Royan. Il avait donc vendu sa villa, dénommée "Clair-Matin". Il avait placé ses meubles au garde-meubles. L'Histoire lui donna raison : À la fin de la guerre, Royan était détruit ... Mais la villa était encore debout ! Par contre, le garde-meubles, lui, n'était plus que décombres. En tout et pour tout, accompagné de mon père, mon grand-père n'en retira qu'une commode dont il fallut refaire le placage décollé par la pluie !

Après avoir habité chez nous, à Rochefort, il perdit sa compagne. Il alla l'enterrer à Auxerre, puis il revint et compulsa son carnet d'adresses. Il en parcourut toutes les pages, s'arrêta sur un nom ... C'est ainsi qu'il reprit femme pour la dernière ligne de sa vie. La fiancée était tout juste retraitée des Postes ... Il avait, lui, quatre-vingts quatre ans !

- " Et vous savez, il fonctionne encore, le grand-père ! "

Il ne vécut pas jusqu'à cent ans, mais il s'en fallut de peu.



                                                                            Mon père - Lucien Savatier

jeudi 11 février 2016

BOYARDVILLE

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Cette photo a été prise en 1938 au centre de Ballons captifs de Boyardville. Les bâtiments que l'on voit à l'arrière plan existent toujours, juste avant le fort des Saumonards. 



Ce centre était une annexe de la Base aéronavale de Rochefort. Il fonctionnait seulement pendant la saison d'été. Les familles étaient
hébergées sous la tente.






























À gauche, dans le transat. Lucien Savatier, alors Commandant du centre de ballons captifs.




























Pour leurs exercices d'entraînement, les ballons étaient tractés par un petit navire de la Marine nationale : Le Cèdre. Remarquons le 
canot pneumatique qui se dirige vers un voilier ...




























Nous retrouvons ici ce même canot pneumatique : Il s'agit du prototype du célèbre ZODIAC Il est piloté par son inventeur, l'Ingénieur Pierre de Broutelle. Notons que les essais ont été faits à Boyardville et à Rochefort ... Plus tard, les usines de fabrication s'installeront à l'arsenal de Rochefort .... Avant de quitter les Charentes à la fin du vingtième siècle.





























Certains se reconnaîtront peut-être sur cette photo : à l'extrème gauche, le Commandant Lucien Savatier, alors Enseigne de vaisseau et son fils Bernard ...
Moi, je suce mon pouce (j'ai six ans), assis à côté de ma cousine Marthe et non loin de ma mère, Suzanne Savatier. Pierre de Broutelle est debout, dans le groupe de droite.

Heureuse époque en Oléron !
Mais la guerre se préparait ...  L'année suivante, la mobilisation venait quérir mon père alors qu'il était sur le toit de notre maison du Douhet, en train de réparer les tuiles ... 
Il n'y avait pas de téléphone ... Deux gendarmes à bicyclette étaient venus lui porter l'ordre de rejoindre : Nous étions en septembre 1939 !

samedi 6 février 2016

GARGANTUA EN OLERON.










       GARGANTUA EN



              OLERON




























“L’an 1553, François Rabelais, de Chinon, mourut en la paroisse de Saint-Paul, à Paris, où il est inhumé et où il s’était fait apporter, malade, de la cure de Meudon. Il avait été Cordelier, puis se fit Médecin, et enfin devint Curé. Il rendit son esprit en raillant, comme il avait passé sa vie en raillerie. Chacun sçait quels sont ses escripts.”


(épitaphier de l’église Saint-Paul)


***


Le seizième siècle n’avait pas de pétrole ... Mais il avait des jambes ! On signale la présence, ou le passage de celui qui se disait “Maître Alcofrybas”, en Vendée, bien sûr, où il séjourna longuement, moine en l’Abbaye de Fontenay-le-Comte puis en celle de Maillezais.


On voyageait très souvent à l’époque, en montant dans les coches, qu’ils fussent coches d’eau ou voitures traînées par des chevaux de poste. On chevauchait aussi et enfin on cheminait à pied, s’arrêtant au hasard des rencontres.


François Rabelais usa-t-il les semelles de ses chaussures sur les cailloux des chemins ou le fond de sa culotte sur les sièges bringuebalants des voitures et le dos des chevaux ?



En tout cas, il avait nettement la bougeotte puisqu’on affirme l’avoir vu à Paris, à Saint-Maur-des-Fossés où il fut moine encore, mais cette fois-ci bénédictin, à Metz, à Rome et à Turin, à Montpellier où il reçut ses grades de médecin,à Tarare,, Chambéry, Lyon, Aigues-mortes , que sais-je encore !
































Diable d’homme ! Et quand je parle d’un diable d’homme, je ne fais aucunement ici allusion pernicieuse aux lettres qu’il envoya de Lyon à Rome, lesquelles furent saisies et lui valurent, le 10 août 1537 une assignation à résidence par le Cardinal de Tournon, rien de moins ! Je ne fais, non plus, aucune allusion encore plus pernicieuse à l’insciption de Pantagruel sur une liste de livres coupables d’obscénité, car, en cette matière on a, depuis, fait beaucoup mieux ! Je ne fais pas allusion à la paternité de François Rabelais qui, par autorisation spéciale du Pape Paul III, légitime le 9 janvier 1540 ses deux enfants, François et Junie .... (Il ne s’agit sans doute que du résultat des exercices d’application auxquels a pu se livrer Maître Alcofrybras après avoir écrit l’ouvrage sus-dit ? ) .....


C’est à la fois à des voyages et à des paternités que nous nous intéresserons puisque c’est de Gargantua que nous entendons parler ce jour.


Comme chacun sait, Gargantua était fils de Grandgousier et de Gargamelle.


...... “Le bon homme Grandgousier beuvant, et se rigollant avecques les aultres entendit le cry horrible que son filz avait faict entrant en la lumière de ce monde, quand il brasmait demandant, “à boyre, à boyre, à boyre”, dont il dist, “ Que grand tu as le gousier” ! Ce que oyans les assistans , dirent que vrayement il devait avoir par ce le nom Gargantua, puis que telle avoit été la première parolle de son père à sa naissance ...”


Je n’ai pas voulu prendre la peine de traduire le passage ci-dessus, qui donne nom à notre héros. Aussi bien est-il aisément compréhensible, il me semble. Et aussi bien aurais-je été plus justement conduit à le traduire en parler d’Oleron, puisque c’est à propos d’Oleron que j’évoquerai le bon géant que “dix et sept mille neuf cent treize vaches de Pautille et de Bréhemond “ allaitèrent à sa naissance. Il faudrait ajouter les barriques et les pichets de vin qu’il but ensuite, mais là, je n’ai pas poursuivi mes recherches dans les parchemins, encore que les comptes en fussent fort bien tenus.


























Maillezais , ni Fontenay-le-Comte ne sont très éloignés de l’île d’Oleron qui nous intéresse ici. On pourrait rappeler que Gargantua ( Je ne me souviens pas en quelle occasion), posait ses pieds, les deux jambes écartées, sur chacune des tours de l’entrée du port de La Rochelle ... Ah ! Si, il m’en souvient très bien : Il pissait dans l’océan, comme, plus tard il se plantera en haut des tours de Notre-Dame pour pisser sur Paris , ( “et les caniveaux de déborder et les badauds qui furent sauvés furent été obligés de nager en ce torrent “...!


“ ... Il en noya deux cent soixante mille, quatre cent dix huit. Sans les femmes et petitz enfants.” Dans le port de La Rochelle, sans aucun doute y eût-il de nombreux naufrages et beaucoup de chambardements ...On parle aussi de Niort, mais il me faudrait rechercher ce qu’il pouvait bien faire en cette bonne ville ...


François Rabelais lui-même chemina tellement qu’il n’est point étonnant outre-mesure que Gargantua fît de même ... N’était-il pas, en quelque sorte le petit-fils de maître François, par son père Grandgousier qui, lui, n’était autre que le “fils” de Rabelais ? En tout cas, Gargantua, par ses malices et par ses excès de tous genres, a laissé des traces dans un grand nombre de provinces françaises et d’outre frontières ! C’est tout juste, et encore je n’en jurerais pas, si l’on n’en parle pas outre-mer.












Il me faut ici faire diversion quelque peu. C’est nécessaire à la compréhension de mon récit, pour autant que je m’exprime de manière compréhensible et en bon langage commun.


D’aucuns ont prétendu que le nom de notre géant dérivait de vocables celtes. Je n’aurai pas la prétention d’aller là contre, mais je dois cependant rapporter ce que je lus, un matin, dans les archives de la très docte Société de Géographie de Rochefort-sur Mer. Outre qu’il me serait pénible de mettre en doute telles affirmations d’un société si savante, les affirmations contenues dans cette communication me semblent mériter qu’on les considère ...


Son auteur affirme en effet que, pendant la période d’occupation romaine, l’île d’Oleron était dénommée “Antua”. On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec le nom d’un géant, Antée, fils de Poséïdon et de Gaïa respectivement dieu des océans et déesse de la terre. C’est de mythologie grecque qu’il s’agit mais les Grecs n’étaient-ils pas les plus grands navigateurs de l’époque ? Notre auteur poursuit en évoquant les vocables qui contiennent en notre langue française le phonème “garg” : gargoulette, gargouille, gargouillis, gargote, gargouillement, gargariser, gargarisme, gargoine, gargouillage ... Faisant observer qu’il s’agit toujours de parler d’objets ou d’actions communément accompagnés du même bruit de gorge, il cherchera ce qui, dans les parages d’Oleron, pouvait bien induire ce genre de bruit.






Il trouvera, faisant remarquer au préalable que le pertuis de Maumusson n’existait pas dans la période du Haut-Moyen-Âge : Puisque ce pertuis n’était pas ouvert, le fleuve que l’on appelle La Seudre et qui est une bénédiction pour l’ostréiculture s’écoulait dans le coureau d’Oleron et ses eaux y rencontraient celles de la Charente avant d’emprunter le pertuis d’Antioche.


Je ne suis point si savant que j’aille m’aventurer à contredire cette thèse, laquelle, par ailleurs, me semble fort raisonnable. Le courant engendré par La Seudre rencontrait celui de la Charente à l’endroit que l’on appelle maintenant “La Tour de Juliard”. Il y a là un rocher sur lequel la dite tour a été édifiée pour le plus grand bénéfice des navigateurs. Et croyez moi : La rencontre des eaux devait en faire un sacré “gargouillement” ! Si Pierre Loti évoque, bien plus tard, les “affreux” grondements de l’actuel pertuis de Maumusson, ce devait être bien autre chose à la Tour de Juliard ! ( en toute confidence, celui qui saurait qui peut bien être ce Juliard, me ferait plaisir en me le disant ... Faut-il songer à Jules César ? )


Et voilà, nous avons trouvé la clef ! - Gargantua porte un nom Oleronnais ! C’est en effet du bruit des vagues dans le coureau d’Antua que l’on a tiré son nom !


Je ne sais si vous êtes là convaincu comme je le suis mais d’autres observations vous y méneront.




Je sais bien que les géants marchent à grands pas. On raconte que, pour échapper à des chiens qui lui mordaient les talons, Gargantua, d’un seul pas sauta sur le clocher de Luçon. Il passa ensuite de celui-ci au clocher de Fontenay, puis , et toujours d’un seul pas il atteignit le clocher de Niort ! De telles enjambées permettent de faire du chemin ! Il faut y croire, d’ailleurs, puisqu’on relève le passage de Gargantua dans presque toutes les régions de France.


Particulièrement, il avait pour plaisante habitude d’emplir ses poches de gros cailloux qui ne sont autres que des menhirs et des dolmens ... Que voulez-vous,à chacun ses enfantillages, sa manie, à lui, c’était de jouer au palet ! On relève donc son passage à peu près partout où il y a des dolmens et des menhirs, et même parfois là où il y a de grosses pierres qui n’ont aucune authenticité celtique !


Je ne prétendrai pas à l’exhaustivité, aucunement, mais j’ai relevé son passage, signalé par des mégalithes, dans le Bas-Poitou bien sûr, mais aussi près de Flers, dans l’Orne, près des Andelys et donc au bord de la Seine, à Jumièges, à Ambérac où il but toute l’eau de la fontaine et assécha complètement celle-ci, dans l’Yonne, près de Montholon, dans le Val d’Oise où il jouait aux palets ( et il en laissa sur place ), on parle même du mont Ventoux, sur lequel il se serait assis, et pourquoi pas ? J’arrêterai là cette énumération pour revenir en Oleron qui, en ce temps là était bel et bien une île ... Nous avons vu que c’était d’elle qu’il tirait son nom.




Mais il y a plus : En Oleron, on trouve un “palet de Gargantua” ( on peut le voir encore du côté d’Ors, c’est incontestable ! ) et notre géant laissa choir sa cuiller à Saint Gilles où elle se trouve encore de nos jours ( après avoir quelque peu voyagé, mais cela c’est une autre histoire et ce qui importe c’est qu’elle soit revenue ) La “cuiller à Gargantua, elle est bien là, vous pouvez la voir et la toucher, c’est incontestable.






Voici donc des arguments qui m’ont convaincu et qui ne peuvent que vous convaincre vous-aussi. Bien mécréant celui qui s’aventurerait là contre ...! Il faut y croire.




Mais j’arrive à la meilleure partie de mon histoire. Suivez moi bien car elle apporte la preuve définitive que Gargantua est bien de chez nous alors que chacun voudrait en faire un citoyen de sa propre région. On peut supposer qu’il en est de même pour ses parents, Grandgousier et Gargamelle et de même encore pour son fils Pantagruel, tous de la même famille qui est celle de François Rabelais, lequel publia cette histoire vraisemblablement au cours du premier trimestre de l’an mille cinq cent trente cinq si l’on en croit les documents d’archives.













La rumeur vint jusqu’aux oreilles de Gargantua, lequel était depuis peu de retour d’une expédition contre Picrochole, que les oleronnais et les gens de Marennes, tous armés d’épées de bon acier et de hallebardes, étaient pêts à en venir aux mains. On disait même que leurs mégères avaient saisi leurs longues cuillères à pot, les lardoires et les écumoirs et que les enfants étaient armés des bâtons avec lesquels ils gardaient les oies.




Gargantua, sans aucune hésitation enfourcha sa bonne jument. On se souvient qu’elle était de belle taille ! N’avait-elle pas, à coups des crins de sa queue, en voulant chasser les mouches et les frelons, abattu tous les arbres de la forêt d’Orléans!


C’est dire s’il fut promptement en Basse Saintonge! Il siègea en justice dès son arrivée. Il s’était installé en terrain neutre, c’est à dire à peu près neutre puisqu’il siégea du côté de La Tremblade ... Et je ne suis pas loin de penser que le nom de ce lieu a quelque chose à voir avec les ébranlements du sol que causèrent les pieds de la jument ... ou bien avec la frayeur que le géant causa aux villageois !


Il s’enquit de l’objet de la dispute : Les Oleronnais ne voulaient entendre parler que des huîtres vertes tandis que les gens de Marennes n’appréciaient que les huîtres laiteuses, dont la chair est bien blanche.







Du côté de Marennes on faisait ressortir que, en ce qui concerne les huîtres laiteuses, la chair emplit la coquille alors que ce n’est pas le cas pour les huîtres vertes. On aurait pu laisser dire et laisser faire chacun de son côté comme bon lui semblait, mais les Oleronnais arguaient, et on ne trouvait rien à leur répondre que toutes les huîtres portant le label “Marennes-Oléron “ il convenait que l’on se mît d’ accord, faute de quoi, seules les armes devaient avoir raison ! Le ton montait très vite, plusieurs étant, comme on dit “pleins comme des huîtres”.


Gargantua trouva rapidement la solution et lorsqu’il l’eût énoncée et ordonné sa transcription sur parchemin dûement cacheté , signé et apostillé, il l’énonça à haute, claire et forte voix :


"Nous, Gargantua, fils de Grandgousier et de Gargamelle, après avoir écouté les doléances et prétentions des parties, arrêtons ce qui suit et entendons que chacun des paragraphes de cet arrêté soit respecté jusqu’à ce qu’un autre arrêté vienne en modifier la teneur .













1°- Les huîtres provenant des élevages de Marennes, de La Tremblade et d’Oleron continueront à être commercialisées sous la dénomination unique “HUÎTRES DE MARENNES-OLERON.



2° Les huîtres de Marennes-Oleron pourront être des huîtres plates ou des huîtres creuses, des huîtres portugaises ou des huîtres japonaises, des huîtres vertes ou des huîtres laiteuses.


3° Seules les huîtres ayant séjourné au moins douze mois dans les claires du dit bassin de Marennes-Oleron auront droit à l’appellation et au logo qui la représente.


4° Pour mettre d’accord les partisans des huîtres vertes et ceux des huîtres laiteuses, les laboratoires de la Province seront chargés d’orienter leurs recherches vers la production d’huîtres “TRIPLOÏDES” lesquelles présenteront la particularité de toujours être vertes sans jamais devenir laiteuses mais de toujours être pleines et charnues.


5° Les huîtres triploïdes seront vendues plus cher que les autres.


6° Il sera interdit à qui que ce soit, fût-il Marennais ou Oleronnais de contester le présent arrêté et par ailleurs de faire tremper ses huîtres, quelque particularité qu’elles eussent, en d’autres endroits que dans des claires dûement autorisées.


7° Il est bien entendu que, suivant la coutume, dont nous estimons qu’elle doit perdurer, les huîtres doivent être vendues selon le principe “ TREIZE À LA DOUZAINE”.







Il ne se fiait pas trop aux Oleronnais, pas plus d’ailleurs aux gens de Marennes,alors, afin d’éviter toute bataille à l’avenir, pesant sur chacun de ses pieds, Gargantua écarta légèrement les jambes. L’effet de cet écartement fut la séparation de l’île d’Oleron et du continent. Le bras de mer qui les sépare a été nommé pertuis. Il s’appelle toujours le Pertuis de Maumusson. Comme on dit qu’ “en tout pertuis, le renard se faufile”, le courant de la Seudre, passant par devant La Tremblade s’est, depuis, faufilé dans le Pertuis de Maumusson. Il ne se heurte plus au courant de la Charente à la Tour de Juliard, mais c’est en ce pertuis qu’il faut entendre, depuis, les “gargouillements rageurs de l’île d’ Antua” ! Pierre Loti l’a écrit. Il est affirmatif .... avec quelque peu d’emphase, mais on connaît ses habitudes ... Quant au Palet et à la Cuillère à Gargantua, on peut les voir encore aujourd’hui en Oleron !









Preuve que tout ce que je vous ai raconté ne relève que de la pure vérité ... Comme à mon habitude ! ... Et qui le contesterait, qu’il soit puni comme il convient !



       "OLERONNADES" 

MICHEL SAVATIER

ÉDITIONS : LE CROÎT - VIF